Musique - Les pin-up du classique







Musique Les pin-up du classique

Sur les pochettes de disque, L’ÉROTISATION des violoncellistes, pianistes ou CHANTEUSES LYRIQUES, photographiées dans des poses lascives, se généralise. Glamour, marketing ou sexisme? Enquête




Regardez comme elles vous regardent. Pour décrire la façon dont certaines musiciennes classiques se donnent à voir sur les couvertures des disques, ne faudrait-il pas toute une sémiologie de l’aguicherie ? Une voluptueuse paradigmatique de l’épaule nue, du décolleté, de la chevelure sauvage, du regard appuyé, des paupières extatiquement closes, des reins cambrés, de la jambe exhibée, de la main abandonnée, voire de l’autopalpation
– sinon de l’autoattouchement ? Apothéose du satiné et du transparent, cette énergétique de l’agacerie serait-elle destinée à stimuler un public masculin vieillissant? Selon les chiffres communiqués par Alain Lanceron, président d’Erato Warner Classics, l’acheteur potentiel de disques classiques est à 60% un homme, et cet homme est quinquagénaire.

Pour dénoncer cette érotisation des musiciennes classiques, le pianiste Patrick Fraselle, sur son blog, stigmatise rudement « l’hystérie narcissique en musique via l’étalage sexuel de quelques pianistes [comme] Yuja Wang, Lola Astanova et Khatia Buniatishvili ».


« C’est d’une vulgarité immonde », vous dit une violoncelliste en contemplant sur une couverture de disque la pianiste italienne Vanessa Benelli Mosell, longuement gantée de cuir rouge.
Le sujet amuse la pianiste Florence Lafitte, qui forme avec sa soeur jumelle, Isabelle, le duo Lafitte. « C’est l’éternelle bataille du pur et de l’impur. Face à de telles couvertures, la question est de savoir s’il y a de la musique là-dedans.

Je me souviens du chef d’orchestre Emmanuel Krivine qui disait à propos de cette érotisation des musiciennes classiques : “On ne voit plus que des cheveux !” On pourrait parler d’un syndrome porno, ou disons, plus joliment, d’une parade amoureuse. Sur scène, on voit des départs de seins, ou pas de soutien-gorge du tout ! Ça en devient drôle. » La musique, une cosa mentale montée sur Louboutin ? « En musique, l’extase naît de la sublimation, non d’une matière charnelle ostentatoire. On vient de se marier et, la nuit de ses noces, on regarde une cassette porno : c’est à peu près l’impression que ça me donne. Comment l’apprentissage de la musique, qui est aussi une éducation émotionnelle et culturelle, peut-il descendre à cette séduction à la truelle ?

Mystère. Il y a aussi des exceptions comme Khatia Buniatishvili, pianiste extraordinairement douée. Elle, c’est Marilyn Monroe. Elle n’y peut rien. Elle est comme ça. Même si elle avait les cheveux gras, elle serait complètement olé-olé. »
La parole est à la défense. En écoutant la Géorgienne Khatia Buniatishvili, vous comprenez avec mortification que le sujet même de votre article n’est pas exempt de sexisme. « J’assume le côté “femme glamoureuse”,comme on dit. C’est la modernité. Avant, une féministe devait s’habiller comme un homme pour mettre en avant son intellect. Aujourd’hui, elle peut le faire dans une jolie robe. Mais il y a évidemment une forme de sexisme à parler de la robe de la musicienne plutôt que de son jeu », dit-elle avant de préciser que son « styliste » n’est autre que sa mère, car elle-même « déteste faire du shopping » : « La vraie nudité, dans la musique classique, on ne la trouve pas sur les couvertures de disque, mais sur scène, dans la sincérité, la nudité émotionnelle de l’interprétation. »

“L’EAU M’ARRIVAIT JUSQU’AUX CUISSES”

Le sexisme, c’est donc parler d’autre chose que de musique. « Je me souviens d’un vague journaliste qui avait écrit que ma soeur et moi, nous couchions ensemble », se souvient Florence Lafitte avec une consternation distanciée. « Moi, dans un article, j’ai eu droit à “une jolie Eurasienne en finale”, raconte avec un élégant dédain Marie-Josèphe Jude, concertiste et professeur de piano au Conservatoire de Paris. Les minijupes de Yuja Wang ne me gênent pas. Mais je me souviens de mon professeur Aldo Ciccolini qui me disait : “Il faut jouer derrière un paravent.” L’interprète doit se fondre dans la volonté du compositeur. » Adieu, paravents. « Aujourd’hui, la musique ne se suffit plus », vous dit Jude tandis que vous recherchez frénétiquement sur Google les mots Yuja Wang + érotisme, puis Yuja Wang + porno et que vous tombez sur le site pornographique XHamster. Ici, l’amateur de Rachmaninov peut admirer neuf photos en minirobe de la « sexy classical pianist » Yuja Wang, tandis qu’une certaine Martine, à tête de hautboïste, apparaît en pop-up pour lui offrir les dernières faveurs. Pavane pour un porte-jarretelles ?

Au commencement, donc, était Yuja Wang, la pianiste chinoise, explique la pianiste Isabelle Lafitte, soeur jumelle de Florence. « Auparavant, le public n’avait pas besoin de ça. La pianiste Clara Haskil était laide. C’est Wang qui, en 2006, a cassé les codes traditionnels de la musique classique. Sur scène, dans les concours internationaux, elle jouait avec des longues robes fendues sur le côté, des décolletés vertigineux. On ne peut pas lui en vouloir : c’est une superbe musicienne. J’ai ma théorie sur les causes de ces couvertures érotisées. C’est plus difficile pour une femme. Les directeurs de festival, de salle de concert, les agents, les jurys de concours sont des hommes. » Dès lors, comment exister? Comment se distinguer dans un univers impitoyablement compétitif ? « Les musiciennes doivent faire face à une triple concurrence : les musiciens (les petites filles sont majoritaires au Conservatoire, mais les hommes sont plus nombreux à faire des carrières internationales) ; les musiciens homosexuels, qui eux-mêmes font face à l’adversité de l’homophobie en s’entraidant ; enfin, les musiciennes d’Asie, Chine, Corée, Japon, Taïwan, de plus en plus nombreuses, et qui travaillent beaucoup, et qui sont d’excellentes techniciennes. »

Choisie ou subie, cette érotisation « touche beaucoup les jeunes femmes ». « Quand on le déplore, on passe pour réac ou ringard », dit la pianiste Vanessa Wagner, à laquelle ces « vieilles recettes » inspirent la même perplexité que « ces concerts qui dégueulent de fortissimo ». Elle ajoute ce paradoxal souvenir personnel. « Pour la photo de couverture de mon disque où je jouais Debussy [“Images & Estampes”], je devais marcher les pieds nus dans la Marne. Mais le jour de la prise de vue, il y a eu une crue. L’eau m’arrivait jusqu’aux cuisses. Imprévu qui a donné à la photo une sensualité accidentelle. A sa sortie, le critique d’un magazine a refusé de chroniquer le disque à cause de cette pochette. Il croyait sans doute avoir affaire à une pétasse. Six mois plus tard, après une écoute à l’aveugle, mon album était déclaré meilleur disque classique dans le même magazine. »

“JE ME SOUVIENS D’UN VAGUE JOURNALISTE QUI AVAIT ÉCRIT QUE MA SOEUR ET MOI, NOUS COUCHIONS ENSEMBLE…”


Etalage sexuel, strip-tease et musique classique ? par Patrick FRASELLE

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